La certitude prend un tout nouveau sens lorsqu’on vit avec le cancer — Lisa Machado

Lorsque j’ai reçu mon diagnostic de leucémie rare il y a huit ans, j’ai éprouvé de l’anxiété pendant environ un an, malgré un bon pronostic. En fait, il était mieux que bon. Généralement bien gérée avec des médicaments, la leucémie myéloïde chronique (LMC) est un type de cancer sanguin avec lequel la plupart des personnes affectées vivent jusqu’à ce qu’elles décèdent suite à une autre cause.  

Malgré cela, je ne pouvais pas surmonter ma peur face à la situation : les tests invasifs, les visites hebdomadaires à la clinique de cancérologie, le fait que j’avalais un peu de chimio à chaque jour. Chaque élément de ma nouvelle normalité me terrifiait et j’attendais continuellement que la peur s’atténue. Pourtant, lorsque j’ouvrais les yeux chaque matin, mon estomac se serrait et, alors qu’un terrible sentiment de terreur m’envahissait, je me demandais, comme tous les jours, comment j’allais y passer à travers. 

Mon médecin décrivait, un peu à la blague, mon cas comme étant « un cas d’anxiété très fonctionnelle » lorsque que je décrivais, dans un souffle, la peur et l’inquiétude qui pesaient sur moi et, dans un autre, à quel point j’étais occupée en tant que mère, écrivaine, et fondatrice d’un groupe à but non-lucratif pour les personnes qui vivent avec la leucémie. C’était vrai. J’en faisais beaucoup malgré mon anxiété : passer des entrevues médiatiques sur l’expérience des patients, parler avec des professionnels de la santé de ce que cela signifie de vivre avec le cancer, et même commencer à écrire un livre sur la manière de bien vivre avec la LMC. J’avais essentiellement pris tout ce qui me faisait peur et je m’étais enroulée dedans, comme dans une cape.   

Par conséquent, je passais un temps fou à réfléchir sur  la maladie, la mort, la douce incertitude de la vie et à en parler. C’était difficile. Il me semblait que j’avais accepté la nature incertaine de la vie, mais, alors que mon anxiété était toujours présente, c’était devenu clair que je ne l’avais pas acceptée.  

Je me suis jointe à un groupe de thérapie cognitivo-comportementale, qui portait le nom approprié de « courage ». L’idée était d’examiner nos peurs et nos anxiétés, les comprendre et ensuite changer ce qu’on en pense afin d’être plus heureux. Enfin, j’allais comprendre pourquoi j’étais aussi terrifiée alors que mon pronostic était bon, j’allais poursuivre en prenant les rênes de ma nouvelle normalité et je galoperais, insouciante, vers le coucher du soleil. Cela me semblait incroyable.

Lora, une psychologue passionnée dans la quarantaine, était la responsable du groupe et elle se souciait réellement de nous, mais elle ne plaisantait pas non plus. Dans sa classe, nous allions faire face à nos peurs et nous en occuper. Il y avait beaucoup de larmes dans ces sessions, ce qui était étrange au début, mais nous sommes vite devenu amis, unis par les peurs qui nous retenaient et qui nous empêchaient de vivre.    

Il y en avait d’autres qui, comme moi, essayaient de surmonter des anxiétés liées à leur santé, mais d’autres essayaient de faire face à des peurs que je n’avais jamais considérées auparavant, comme la femme qui était terrifiée par les gros buissons parce qu’elle avait été attaquée par un ours dans la forêt, ou l’homme qui était à tout moment enseveli par ses pensées liées a l’échec. 

Les premières semaines consistaient à passer à travers un cahier d’exercices sur la gestion des inquiétudes. Puis, Lora choisissait une personne à chaque session pour parler de son anxiété. Elle les confrontait avec ce qu’elle appelait sa technique « et alors? » Ce n’était pas plaisant si vous étiez la personne choisie, mais c’était vraiment intéressant de voir quelqu’un d’autre révéler couche par couche ses pensées et ses expériences jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une seule phrase qui résumait l’origine de sa peur.    

J’attendais mon tour avec impatience, mais je le redoutais aussi.

J’avais commencé en expliquant comment j’avais peur que tout finisse mal pour moi, que peut-être mes médicaments n’allaient pas fonctionner, que j’allais peut-être perdre le contrôle. « Et alors? », me demanda Lora. Bien, ça serait terrifiant. « Et alors?» Je ne veux pas que cela arrive. « Oui, on comprend cela, et alors? » C’est tout. « Non. Quoi d’autre? Tu vas souffrir et mourir. Et alors? » Mes enfants n’auraient plus de mère. « Et alors? Les enfants sont résilients. Cela serait difficile, mais ils survivraient, non? » Oui, ils survivraient. « Et alors? », continua-elle à me demander. Personne dans la salle n’a pu s’empêcher d’avoir les larmes aux yeux alors qu’elle me guidait sur un chemin qui était si effrayant.

Je ne voulais pas qu’ils vivent une tragédie. Ah-ah! Et voilà. C’était aussi simple que ça. Après tout, aucun parent ne veut que son enfant fasse face à la douleur liée à une perte. Mais pour moi, la possibilité que mes enfants vivent cela me semblait si proche, si réelle. La partie la plus difficile de ce processus était que, contrairement à la dame qui avait peur des ours et pour qui son « et alors?» était de réaliser que le risque d’être attaquée par un énorme grizzly dans le centre-ville de Toronto était infiniment bas, personne ne pouvait me dire quelles étaient les probabilités dans mon cas. Comme l’expliqua Lora, la clé de ma libération se trouvait dans la capacité « d’être confortable avec l’incertain. »      

Le temps s’est écoulé depuis. J’ai travaillé fort pour apprendre à « vivre » avec l’incertain, à garder à distance mes peurs liées à ma santé et à profiter du présent. Mais après 2016, l’année durant laquelle il m’a semblé que chaque jour apportait la nouvelle d’un décès ou d’une tragédie quelque part dans le monde, j’ai fait à nouveau face à ces moments d’anxiété. La veille de Noël, les membres d’une famille de notre quartier, que je connaissais bien, sont  décédés dans un terrible incendie d’un chalet. Je peine encore à faire face à cette perte et à la tristesse, tout comme tout le monde. Je me demande « et alors? », mais, contrairement à lorsqu’on était en classe, les réponses n’offrent pas une lueur d’espoir et de dénouement ; elles ne font qu’amplifier la douleur insupportable de cette perte. Mais au-delà de tout ça, je me suis rendu compte que, même si sur papier mon incertitude semble être mieux définie que la vôtre, la réalité est que l’on vit tous avec de l’incertitude. Apprendre à vivre avec, c’est une tout autre histoire.   

Lisa Machado est la fondatrice du Canadian CML Network. Pour en apprendre plus sur cet organisme, veuillez cliquer ici (en anglais) .